QU'EST-CE QUE LA LQR ?

Conversation entre un "branché" et un citoyen pas du tout décidé à donner de son temps de cerveau à TF1 pour la plus grande gloire de CaCo CaLo...

- Connaissez vous, monsieur, la LQR, la Lingua Quintae Respublicae, la nouvelle langue chérie  des médias ? Vous avez bien entendu parlé du métier de "technicien de surface"
- Non je ne connais aujourd'hui que des balayeurs.

- Vous n'êtes pas "client" de La Poste ?
- Non, je suis toujours usager.

- C'est bien un "superviseur" qui vous contrôle dans le train ?
- S'il me contrôle, ça reste un contrôleur.

- Si je dis "coach", vous préférez ?
- Entraîneur !
- La différence ?
- L'entraîneur m'aide à progresser. Votre "coach" veut surtout gagner (au détriment de quelqu'un, mais faut pas trop le dire !)

- TVA sociale ?
- Adjectif magique qui ne cache qu'un impot supplémentaire destiné à dispenser le patronat des cotisations sociales (qui bien sûr en LQR sont appelées "Charges sociales" )

- Vous datez, mon cher ! Vous n'êtes donc pas un "partenaire social"
- Surtout pas ! Le Medef ou mon patron voudraient plutôt se débarrasser du syndicaliste que je suis  et je ne dis jamais comme vous "résultat net" , mais bénéfice, jamais  "retour sur investissement"  mais profit . Et au risque de me répéter, je parle encore des patrons (CNPF), pas des "employeurs" ni  des "entrepreneurs"… Alors je ne risque pas d'être un  partenaire.

- Vous êtes donc contre les "réformes" ?
- Quand les vôtres ne sont en réalité que démantèlement des services publics ou accélération de la dite modernisation libérale, ce ne sont pas, pour moi, des réformes; c'est de la casse sociale !

- Et la "démocratie participative", c'est quoi, selon vous ?
- D'abord un pléonasme ! Ensuite, une belle formule qui, dans la bouche de certains politicards, est le bon truc pour faire croire à des gogos qu'ils décideront quelque chose qui, en réalité, aura été déjà décidé par le politicien.

- Et le "traitement social du chômage" ?
- Un autre truc pour traiter les licenciés comme des malades qu'il faut traiter… et si quelqu'un est malade, on pense souvent que c'est de sa faute.

- Le plan de "cohésion sociale" ?
- C'est tout simplement un plan de maintien de l'ordre pour calmer les révoltés : les  "sans" (sans papier, sans logement, sans travail, tous les sans droit), tous  ceux que vous appelez dans votre jargon LQR  les "exclus " qui, par votre langage, ne sont naturellement victimes de personne... Mais pour donner à ces plus pauvres quelques moyens d'espérer, rien de mieux selon vous qu'un peu de compassion

- L'expression "arabo-musulman" vous déplaît -elle pour désigner, surtout aujourd'hui, de nombreux terroristes ?
- Elle est aussi ridicule que d'appeler des Français "celto-chrétiens".

- Comment vous traduisez "20 000 éloignements" d'étrangers en situation irrégulière ?
- 20 000 expulsions / reconduites à la frontière, par la force au besoin.

- Le "devoir de mémoire" ?
- C'est : "N'oublions pas les malheurs que nous avons subis, mais maintenons autant que possible le silence sur nos propres méfaits".

- Je parle d' "informations commerciales" ! Et vous ? 
- C'est de la PUB, non ?

- Qu'est-ce qu'un "Directeur des Ressources Humaines" selon vous ?
- Le chef du personnel, qui à notre époque n'a pas un beau rôle. C'est souvent le premier sur la liste des éjectables… Et si ce n'est pas le cas, c'est lui qui se charge de proposer de licencier untel. Il ne faut plus avoir peur de l'antique  CHEF et ça passe mieux d'être viré de l'entreprise avec "l'humanité" du mec des ressources "humaines"

- A votre avis, j'emploie l'expression "mouvement social" à la place de quoi ?
- Cela vous écorcherait-il la langue de dire que c'est une grève ?

- Travailler le jour férié du lundi de Pentecôte, c'est bien un travail permettant de financer "la solidarité" ?
- Encore une entourloupette pour écoeurer de toute solidarité ceux et celles à qui elle est imposée.

- Finalement cette LQR, cette nouvelle langue très Cinquiéme République, ne trouve aucune grâce à vos yeux. Pourquoi ?
- Elle est néfaste et hypocrite pour plusieurs raisons ! D'abord, elle fait en sorte que le résultat d'une situation est de votre responsabilité : si vous vous considérez comme "chomeur-licencié ", on estime que vous avez été licencié par quelqu'un (suivez mon regard).
Avec la LQR, vous devenez "demandeur d'emploi" et à partir de là, c'est de votre responsabilité d'en trouver un... ce qui permet de vite passer sur les responsabilités de celui qui vous a réduit au rang de demandeur d'emploi.

La LQR cherche à atténuer (sans les supprimer) toutes les distorsions qui risquent de remettre en cause le pouvoir ou les profits de certains : "Caissière" toute la journée, y'a de quoi aller vite dormir le soir venu ou se mettre en grève si c'est mal payé…Mais "Hôtesse à la caisse", c'est quand même plus chic, plus revalorisant !

Une "frappe chirurgicale"  fait moins mal qu'un bombardement.  Une "intervention" est mieux acceptée qu'une guerre. Ne dites plus "handicapé", mais "personne à mobilité réduite".

Ne pensez plus "lutte des classes", vous êtes maintenant dans une "couche sociale" (la ménagère de moins de 50 ans). Vous êtes dans telle "tranche d'imposition" ou dans telle "Catégorie Socio-Professionnelle" ou bien alors, vous faites partie d'un "milieu" (milieu boursier ou intégriste). Autant de lieux où l'on ne pense plus être exploité par un patron ou par le système capitaliste.
Ensuite, avec condescendance,  votre langue de "branché" tente de recoller les morceaux : si ça va mal, il lui faut éviter le pire : Donc, ceux qui expriment un désaccord ne sont pas des ennemis, ils sont simplement "dans l'erreur"... Et un bon bourrage répétitif des mêmes slogans LQR devrait les calmer ou les éclairer sur le bien qu'on veut pour eux.

Un exemple ?  Tous les médias ont souligné, au lendemain du référendum du 29 mai 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen, que "La France du NON"  était surtout rurale et peu diplômée, jeune et peu fortunée. Façon polie de dire que le pays a penché vers le NON à cause de jeunes ploucs sans fric ni éducation… On ne saurait leur en vouloir d'avoir mal voté, c'est tout simplement "qu'on leur a mal expliqué".

J'ai dit "bourrage répétitif"… Car c'est bien la seule tactique employée : la répétition. C'est fou comme après les dernières grèves et grandes manifs, on a vu fleurir le mot "ensemble". Non pas évidemment pour souligner la lutte unitaire des grévistes et manifestants, mais pour donner à ce mot, récupéré et détourné, une autre valeur… On est donc invité à être vigilants "ensemble" dans le métro, deux gardiens de but pour un poste de titulaire sont fermement invités à mettre de côté leur concurrence pour être "ensemble" sur l'affiche. On vit "ensemble" à RTL, on respecte "ensemble" l'environnement avec les sacs recyclables des grandes surfaces. Avouez que pour la tranquillité de la société, ces images "d'ensemble" sont plus anesthésiantes qu'une horde de manifestants !

Enfin, considérant la morale comme ringarde, les nouveaux communicants n'ont que le mot "éthique" à la bouche… Exemple : Avant, par moralité, un commerçant rendait correctement la monnaie, aujourd'hui certains la rendent par "éthique" car ils savent que s'ils la rendent mal ils vont perdre un client. Ce n'est plus le bien commun qui les guide, mais "l'éthique" de l'entreprise qui, par calcul, n'a pas intérêt à perdre un client ! Si vous voulez vous assurer une bonne retraite, laisser  tomber le ringard système de r épartition / solidarité entre les générations, choisissez des fonds de pension "éthiques" ! G râce à cet adjectif, vous aurez moins mauvaise conscience !

Et si cette LQR s'installe bien insidieusement dans la tête des gens, c'est tout simplement parce que ce langage est performatif : Ce qui est dit se réalise (comme les mariés quand ils échangent leur consentement devant témoins). Les faits de langage sont plus têtus que les autres. Par leur apparition, ils révèlent des tendances qu'ils contribuent à renforcer. Faire comprendre aux demandeurs d'emplois qu'ils sont responsables de la situation où ils sont, c'est surtout ne plus leur répéter qu'ils sont des chômeurs (des fois qu'ils se poseraient la question "à cause de qui ?" )

Sur cette question qui manifestement le dérangeait, le "branché" s'en alla, persuadé qu'il était impossible de continuer à échanger avec un type dont le vocabulaire n'était pas "tendance".

Pierre NICOLAS - 26400 Divajeu
Texte largement inspiré du livre "LQR : la propagande au quotidien"
Eric Hazan - Editions Raisons d'Agir (6€)